LES SAMIS : PRÉSERVER SES RACINES
Lorsque l’on parle de “communautés”, les images de certains peuples autochtones nous viennent rapidement à l’esprit ! Mais en tant qu’Européen ou Européenne, on n’imagine rarement que certains d’entre eux luttent pour la préservation de leur culture sur notre propre continent.
Ce peuple, ce sont les Samis ! Leurs premières traces remontent à plus de 12 000 ans, alors qu’ils occupaient à l’origine les terres qu’ils appellent Sápmi (et que nous appelons la Laponie). Vivant principalement de la pêche et de l’élevage de rennes, ils sont aujourd’hui environ 80 000 à revendiquer cette culture entre la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie.
Leur ancrage territorial et la continuité historique de leur culture m’ont beaucoup inspiré. Alors pour clôturer ce chapitre sur les apprentissages ancestraux, je suis parti à leur rencontre.
Après un périple de plus de 40h à alterner entre trains, bus et auto-stop, je suis enfin parvenu jusqu’au cercle polaire. Au cours de mon immersion, j’ai eu la chance de rencontrer une diversité de Samis qui se battent pour préserver leur culture après des siècles d'assimilation. Que ce soit au travers de l’art, de la politique ou du travail, leurs modèles de transmission sont inspirants !
Ces rencontres m’ont aussi questionné sur l’épineux sujet de “l’appropriation culturelle”. En effet, comment s’inspirer d’une culture en préservant son authenticité et en veillant à la pleine valorisation de ses acteurs ?
Dans cet article, je souhaite donc vous partager humblement les enseignements de mes 5 semaines passées en Sápmi. L’objectif n’est pas de m’approprier cette culture ou de la modeler comme je le souhaite. Je ressens simplement le besoin de vous partager mes apprentissages en espérant créer des liens équilibrés entre nos cultures.
L’ÁRBEDIEHTU, UN ENSEIGNEMENT INFORMEL ET INTERGÉNÉRATIONNEL
Si je devais retenir une seule chose de la transmission de la culture sami, cela tiendrait en un seul mot : l’árbediehtu.
Cette expression décrit le transfert de connaissances traditionnelles dont les Samis s’imprègnent sans qu’on ne leur ait spécifiquement enseigné. Elle englobe de nombreux savoirs propres à la culture sami : la connaissance de la toundra, la préparation des différentes parties d’un renne, etc…
Toutes ces choses ne sont enseignées ni dans une école, ni en cours du soir, elles sont intégrées lentement dans leur quotidien dès le plus jeune âge. En vivant plusieurs semaines dans la famille d’Ellen Triumph qui élève des rennes depuis plusieurs générations, j’ai été surpris par le temps que les enfants passent à “faire comme les grands”. Les adultes ne perdent jamais une occasion pour leur faire vivre leur quotidien et les laisser imiter leurs gestes.
Ainsi, les enfants sont mis sur des motoneiges dès le plus jeune âge (le moyen de locomotion par excellence des éleveurs de rennes) et ont souvent leur propre petit bolide dès l’âge de 6 ans (ça, c’est très très mignon). J’ai aussi vu un enfant de 18 mois manier un couteau presque aussi grand que lui sous l’assistance de sa mère afin qu’il apprenne à couper la viande de renne. Même si en tant qu’occidental cela peut paraître dangereux voir même insouciant, ces méthodes sont pour eux le meilleur moyen de transmettre leur culture. Chaque action de leur quotidien doit les préparer à leur future vie d’éleveur.
Cette transmission intergénérationnelle est selon moi extrêmement inspirante. Elle permet de se laisser pleinement imprégner par les apprentissages tout en étant confronté dès le début à la réalité du terrain. Car, comme le dit si bien un dicton sami, “qui garde les pieds secs n’attrape pas de poisson”.
Chez nous, on peut certes retrouver cette méthode de transmission sous la forme de l’apprentissage en entreprise ou encore du mentorat. Mais à l’heure où les différentes générations ont de plus en plus de mal à se comprendre, la notion d’árbediehtu me pousse à favoriser le lien intergénérationnel au sein des communautés. Car si l’on veut apprendre de l’autre, il faut d’abord pouvoir le comprendre.
RANIMER SON FEU DE CAMP
Vous êtes-vous déjà retrouvé autour d’un feu de camp à conter des histoires, ressasser des souvenirs ou tout simplement parler de la pluie et du bon temps ? Avez-vous déjà ressenti la chaleur des flammes qui vous invitent à vous rapprocher et à partager cette atmosphère chaleureuse avec vos voisins et vos voisines ? Vous savez, cette ambiance intime qui vous pousse à vous livrer aux autres, à vous confier en toute transparence ?
Ces sensations, je les ai ressentis à la fin de chacune de mes journées chez la famille d’Ellen. Tradition sami oblige, une journée ne se terminait rarement sans un feu de camp. L’occasion de se retrouver en famille, faire griller quelques morceaux de viande et partager le récit de sa journée.
Cette tradition du feu de camp a été au cœur de nombreuses sociétés à travers le monde. En tant qu’être humain, nous avons toujours ressenti le besoin de se retrouver et de sociabiliser. Et en tirant un peu le fil, on peut se dire que les fameuses “machines à café” des entreprises sont aujourd’hui les tristes descendantes de nos “feux de camps”.
Néanmoins, même s’ils apportent un lieu de rassemblement, ces espaces sont rarement pensés pour favoriser la création de lien entre les salariés. Ils sont bien souvent plus fonctionnels que chaleureux.
Étant persuadé que le bien-être d’une communauté repose avant tout sur les relations entre ses membres, il est pour moi essentiel de (re)créer des espaces de rassemblement inclusifs. Des espaces dédiés à la création de lien et aux partages authentiques.
Ce besoin de recréer du lien, l’université de Kautokeino en Sápmi l’a bien compris ! Elle s’est alors inspirée de la tradition Sami pour construire un véritable “feu de camp” au centre de son université. Les étudiantes et les étudiants résistant rarement à la chaleur qu’il dégage, ils se retrouvent en cercle autour du feu pour discuter. Sa forme circulaire favorise une certaine équité dans les échanges en plaçant chaque personne à équidistance du centre. Et une fois les mains près du feu, difficile de partir ! S’en suit alors de longues conversations et la création de belles amitiés.
J’ai comme une envie de construire mon propre feu de camp ! Pas vous ?
INFUSER LA CULTURE AU SEIN MÊME DU PROCESSUS DE TRANSMISSION
Cette immersion m’a également beaucoup interrogé sur la manière de transmettre une culture de manière authentique. En effet, comment préserver l’essence d’une culture tout en s’adaptant aux évolutions du monde ?
C’est une vaste question ! Mais les établissements culturels samis (musée, théâtre, etc…) m’ont pour cela beaucoup inspiré. Afin de veiller à l’authenticité de leur culture, ils portent une grande attention au processus même de transmission.
Chaque matériel pédagogique incarne une facette de la culture Sami. Au-delà des connaissances qu’il vise à transmettre, il offre une expérience à part entière qui nous “fait vivre” cette culture.
Ainsi, la plupart des musées sont en extérieur malgré des températures bien souvent négatives. La culture Sami étant étroitement liée à leur vie dans la toundra, quoi de plus normal que de partager leur histoire et leurs connaissances au grand air !
Autre exemple, les informations dans ces musées sont présentées la forme de poème. Une belle manière de faire perdurer un savoir de transmission reposant sur leur fameu chant traditionnel: le joik.
Chaque visite culturelle m’a ainsi rappelé que le chemin fait partie intégrante du voyage (apprenant).
C’est pourquoi, lorsque je souhaite proposer une nouvelle activité ou une formation au sein d’une communauté, je me pose toujours ces trois questions :
Est-ce que le contenu nourrit la mission de ma communauté ?
Est-ce que le format est à son image ?
Est-ce qu’elle cultivera les liens entre ses membres ?
Ainsi, voyez chaque action au sein de votre communauté comme une occasion de renforcer sa culture commune.
L’ENJEU D’AUTODÉTERMINATION : “LE POUVOIR NE S’ABANDONNE PAS, IL SE TRANSMET”
L'autodétermination est l'action, pour un peuple, de prendre en main son propre destin. Elle découle du principe considéré comme fondamental que les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes, indépendamment de toute influence étrangère.
Ce principe d’autodétermination est au cœur des combats menés par les Samis depuis des dizaines d’années. Pour ce peuple fragmenté entre 4 pays, il est devenu primordial de bénéficier des ressources internes nécessaires à la propre régulation de leurs activités. Ils veulent devenir souverains de leur destin en détenant les pouvoirs politiques régissant leur économie, leur système éducatif, leurs productions culturelles, etc…
Au cours de mes différents échanges, cette notion m’a bouleversé, car j’ai ressenti un profond sentiment d’injustice. Les pouvoirs qu’on leur a donné sont bien souvent symboliques et ils se sentent désarmés face à l’administration des différents états. Les Samis ont en fait l’impression d’être mis dans une voiture en pilotage automatique avec des boutons purement fictifs. Ils n’ont concrètement peu de pouvoir d’agir, car les différents gouvernements ont déjà planifié pour eux un itinéraire tout tracé.
Mais vous vous demandez peut-être quel est le rapport entre l’autodétermination et l’apprenance des communautés ?
En fait, ces notions sont pour moi étroitement liées.
Car ce n’est qu’en donnant du pouvoir d’agir à ses membres que l’on permet un apprentissage authentique et durable au sein de la communauté.
En particulier, cela permet de :
Favoriser l’engagement (et donc l’apprentissage) de vos membres : En donnant du pouvoir d’agir aux membres de votre communauté, vous leur offrez une expérience engageante dans laquelle ils pourront pleinement s’investir. Cet engagement nourrira à la fois le dynamisme de votre communauté et l’apprentissage de vos membres.
Faire émerger des solutions issues du terrain : Vous connaissez le diction “ce sont les personnes confrontées quotidiennement aux problématiques qui sont les mieux placées pour trouver les solutions”.
Cultiver l’authenticité de sa culture : Aidez vos membres à construire une culture commune qui leur ressemble, mais n’imposez pas l’ambiance que vous souhaitez dans la communauté. Il n’y a rien de pire pour un conducteur que de ne pas avoir le contrôle de sa playlist.
Mais attention, en tant que structure ou individu responsable d’une communauté, vous devez veiller à la passation de pouvoir ! Toute communauté est en relation avec d’autres communautés avec qui elle entretient des rapports de pouvoir (la communauté Sami au sein des différents états, un syndicat au sein d’une entreprise, une communauté de bénévole au sein d’une association, etc…). Vous devez donc veiller à ce que votre communauté est réellement les ressources pour mettre en pratique ce pouvoir. Car le pouvoir ne s’abandonne pas, il se transmet.
Alors oubliez le pilotage automatique, donnez les clés de votre communauté à vos membres et apprenez ensemble à conduire !
CONCLUSION
Après plus d’un mois passé aux côtés des Samis, je suis extrêmement reconnaissant envers toutes les personnes que j’ai eu la chance de rencontrer. Leur hospitalité m’a permis de découvrir leur culture autochtone avec authenticité. Que ce soit autour d’un café, d’une bière ou d’une grillade, ces échanges m’ont inspiré et parfois bousculé. Des relations de confiance se sont tissées pour aboutir à des échanges bienveillants, désireux de transmettre au mieux leurs savoirs.
Cette immersion m’a confronté aux problématiques partagées par de nombreux peuples autochtones : Comment obtenir un réel pouvoir d’agir pour sa communauté ? Comment préserver l’authenticité de la culture au fil des années ?
Il n’existe malheureusement pas de recette magique pour répondre à ces questions. Néanmoins, leur modèle de transmission reposant sur l’échange informel et intergénérationnel peut inspirer de nombreuses communautés.
MES INSPIRATIONS
Découvert au festival de Pâques de Kautokeino, le joik est un chant traditionnel sami qui vise à décrire l'essence d'une personne, d'un lieu ou d'un animal. Pour les curieux et les curieuses, cette playlist en reprend les principaux chants. (Elle ne me quitte plus depuis le festival).
Pour retranscrire autrement cette immersion, je me suis donc inspiré de leurs fameux joiks en écrivant ce poème. Il vise à retranscrire (humblement) l’essence de mon aventure chez les Samis.
Le dernier Lapon d’Olivier Truc fut pour moi une merveilleuse introduction à la culture sami. Dévoré le temps de mon voyage en train, ce roman policier m’a présenté toute la complexité de leurs enjeux contemporains.
En donnant la parole à une diversité de militants, le livre Liberating Sápmi donne un très bel aperçu du mouvement de défense des droits autochtones en Europe. Ce livre m’a bouleversé comme peu d’autres avant lui.