ALMA FOREST SCHOOL : UNE TRIBU APPRENANTE
Au cours de ma quête des communautés apprenantes, j'ai eu la chance de découvrir sur mon chemin : l’Alma Forest School (ou Alma pour les intimes).
Située au sud de l’Espagne, l’Alma Forest School est, comme son nom l'indique, une Forest School (ou école dans la nature en français).
Leur vision est claire : chaque enfant s'épanouira dans la découverte de soi, de la nature et de l'ingéniosité.
Bien plus qu’une école, ils se définissent eux même comme une tribu dans laquelle ils apprennent à mieux se connaître et à développer un amour profond pour l’apprentissage et la découverte.
Alors en m’immergeant dans leur tribu, j’ai été émerveillé par l’importance donnée aux relations. J’ai compris petit à petit que ces liens sont la base de leur pédagogie reposant sur la confiance et la vulnérabilité.
J’ai aussi découvert que tisser des liens authentiques ça s’apprend ! Mais que pour cela, il est nécessaire de créer le cadre fertile à ce type de relation.
Je n’avais jamais mis les pieds dans une école alternative. Ce monde m'était complètement inconnu.
Et le moins que je puisse vous dire, c'est que j’en repars extrêmement inspiré.
Au-delà de leurs outils pédagogiques, cette école a nourri en moi une conviction profonde : faire de la vie son terrain d’apprentissages.
Valorisez toujours plus le chemin que la destination
Si une chose m’a bien surpris au sein de l’Alma Forest School, c'est l’importance donnée au processus plutôt qu'au résultat.
Là-bas, les réponses données à un exercice ou l’esthétique du projet ont très peu d'importance. Ce qui compte, c’est le processus qui a mené l'élève à ce résultat : les stratégies qu'il a mobilisées, les coopérations qu'il a mises en place, les ressources qu'il a utilisées.
Ce qui est valorisé, c’est l'évolution de l'élève au travers de cette expérience plutôt que son niveau actuel.
Et cette approche change tout !
En prenant cette posture, les élèves prennent beaucoup plus soin des autres. N'ayant pas de contraintes sur le résultat attendu, leur attention se focalise sur le moyen d’y parvenir collectivement afin que chacun puisse grandir au travers de cette expérience.
Et pour tout vous dire, je suis persuadé que chaque communauté devrait s’inspirer de cette philosophie. Car c'est bien dans le processus que repose toute la puissance d’une communauté.
Bien sûr, la communauté permet d’obtenir des objectifs difficilement atteignables de manière solitaire. Porter une stratégie dans une entreprise ou défendre les droits d’une minorité, toutes ces choses demandent le soutien d’une communauté.
Mais lorsque l’on interroge leurs membres, c'est bien souvent le sentiment d’appartenance ou la culture de la communauté qui compte le plus pour eux. La mission passe souvent au second plan.
C'est pourquoi, la priorité d'une communauté doit toujours être les liens qui rassemblent ses membres plutôt que les projets qu'elle mène.
En grossissant le trait, on peut même se dire que les projets ne sont qu'un prétexte pour faire évoluer les liens de votre communauté et par conséquent faire grandir vos membres.
C'est la seule voie pour remplir la mission de votre communauté sur le long terme.
Alors pour incarner cette posture, demandez-vous après chaque projet :
Comment les membres se sont sentis durant ce projet ?
Comment les liens entre les membres ont-ils évolué ?
Qu'est-ce que la communauté a appris au travers de cette expérience ?
Créez des liens authentiques
Vous l’aurez compris, dans une communauté tout est relation.
Ainsi, vos projets reposent sur la cohésion de votre communauté. Plus les liens entre vos membres sont authentiques, plus les projets lancés seront stables.
Mais ça veut dire quoi exactement des liens authentiques ?
Par authentique, j’entends des relations de confiance qui connectent le cœur d’une personne à une autre. Des relations où l’on comprend et l’on accepte l’autre dans son entièreté.
C'est ce genre de relations qui nourrira vos membres. Car c’est en allant au-delà du superficiel que l’on peut réellement apprendre de l'autre.
C'est pour moi la seule façon de traverser toutes les étapes d'un projet avec sérénité. Les hauts comme les bas.
Mais ces relations ne se créent pas du jour au lendemain. Il faut du temps pour créer cette confiance ainsi que des expériences communes pour nourrir ces relations.
C’est pourquoi, au-delà des projets, il est indispensable de partager des moments informels où l’on peut être pleinement soi. C'est ce qui m’a beaucoup inspiré avec l’Alma Forest School.
Je ne compte pas le nombre de parties de Fireball (un jeu coopératif qui s’inspire de la balle au prisonnier), où les professeurs étaient tout aussi transpirants que les élèves.
En effet, là-bas, tout le monde joue avec tout le monde : les professeurs sont incités à jouer avec les enfants, à partager leurs propres émotions, et même à camper avec eux durant les fameuses “sleepover nights” (des nuits où les élèves dorment dans leur classe - le rêve quoi ! ).
Ce sont ces moments informels qui permettent de créer des relations de confiance et d’intimité.
Cela aurait impossible de créer de tels liens uniquement en cours de maths ou de lecture.
Or, c’est bien sur ces liens que repose toute leur pédagogie.
Sans moments informels, pas de liens authentiques.
Et sans liens authentiques, pas assez de confiance et de vulnérabilité pour apprendre réellement de l’autre.
Maintenant que cela est dit, voici un conseil que l’on m’a donné pour favoriser la création de liens authentiques : “Rassemblez les personnes pendant de longues périodes de temps”.
En effet, les relations qui se créent sur un événement de 8h sont beaucoup plus profondes que des relations créent après 4 événements de 2h.
Désolé par avance aux mathématiciens mais : 1 x 8h > 4 x 2h
Pourquoi ?
La raison est simple : pendant les 2 premières heures, on parle de la pluie et du beau temps.
Mais après ces 2 heures, les gens commencent à se livrer : ils parlent de leur contexte familial, de leurs histoires personnelles, ils dévoilent toutes les facettes de leur personnalité. Et c'est bien dans ces moments-là que se crée l'authenticité de la relation.
Fermez les portes de votre communauté
Bon, je sais, ce principe est un peu contre intuitif lorsque l’on veut développer l’impact de sa communauté.
De nombreux collectifs foncent tête baissée en souhaitant attirer le plus de membres possibles.
Pour elles, l'équation est simple :
Nombre de membres = Impact de leur communauté.
Or, l'équation est en fait plus compliquée que cela. L'impact de votre communauté englobe de nombreux facteurs : la qualité des relations entre les membres, les ressources disponibles aux projets de la communauté, la mission du collectif, etc …
Ainsi, tout ne se résume pas au nombre de membres.
Mais surtout, en laissant les portes de votre communauté grandes ouvertes, vous la mettez en danger.
Pour vous en convaincre, laissez-moi vous raconter une expérience difficile qu'à du gérer Philipp, le principal d’Alma Forest School.
Il y a quelques années, un enfant que l’on appellera John souhaite intégrer leur école après s'être fait virer de nombreux établissements. Comme pour tous les nouveaux élèves, John réalise une semaine de test pour voir si cet environnement lui convient et s’assurer que l'école a les ressources nécessaires pour s’occuper de lui. Tout se passe bien durant la semaine jusqu’au dernier jour. Pris d’une colère indomptable, John s’en prend physiquement à plusieurs de ces nouveaux camarades avec une grande violence. Malgré toutes les tentatives des professeurs, John peine à se calmer jusqu'au retour de ses parents.
À la fin de la journée, l'équipe pédagogique se pose la question : Avons-nous les ressources nécessaires pour accueillir John ?
Malheureusement, la réponse fut “non”, alors que l'école repose sur une grande autonomie des élèves en leur laissant manipuler de nombreux objets dangereux (scies, marteaux, etc…), il aurait fallu recruter spécifiquement une personne pour suivre individuellement John. Chose qui allait complètement à l'encontre de leur pédagogie reposant justement sur l'indépendance des élèves.
Ainsi, n’ayant pas les ressources pour l’accueillir, l'école a du refuser son entrée afin de protéger le reste de sa communauté.
Cette histoire est pour moi un bel exemple d’une communauté qui sait fermer ses portes lorsque cela est nécessaire.
Mais attention, avoir des conditions d'entrée ne signifie pas être radicalement exclusif. Car vos critères peuvent justement favoriser la diversité de vos membres. Vous pouvez par exemple : demander un certain engagement en temps, ajouter des quotas de diversité sociologique ou même géographique.
L’essentiel pour moi est de se demander :
Est-ce que la personne est alignée avec les valeurs et la mission de la communauté ?
Est-ce que la communauté a les ressources nécessaires pour l’accueillir ?
Que peut-elle apporter à la communauté ?
Dire “NON” à quelqu'un n’est ni facile, ni agréable. Cela demande beaucoup du courage. Pour autant, cela peut sauver votre communauté tout comme rendre un grand service à la personne à qui vous refusez l'entrée.
Car ne l’oubliez pas : tout le monde n'est pas fait pour votre communauté. Et l’inverse est tout aussi vrai.
CONCLUSION
Pour conclure, cette expérience à l'Alma Forest School a été d’une richesse infinie.
Au sein de cette école, j’ai rencontré une véritable tribu apprenante. Une tribu qui se rassemble pour permettre à chacun de s'épanouir. Et je dirais même, une tribu qui se rassemble pour APPRENDRE à chacun de s'épanouir. Le rendre autonome dans sa quête de bonheur et de développement.
Et c'est là que se tient pour moi toute l’essence d’une communauté : permettre à chacun de s'émanciper, de faire briller ses propres talents au service d’une mission qui nous dépasse.
Voir ces jeunes filles et ces jeunes garçons aussi heureux et épanouis m’a donné beaucoup d’espoirs. Leur empathie, leur gestion des émotions et leur capacité de coopération n’ont cessé de m’épater malgré leur âge.
Je me dis que ces compétences seront essentielles pour répondre aux enjeux de demain.
Alors, j'espère que leurs outils pourront inspirer vos communautés.
MES INSPIRATIONS
Pour découvrir en vidéo l'expérience d’Alma Forest School :
Un livre témoignage de A. S. Neill le fondateur de Summerhill School, une école autogérée en Angleterre depuis 1924. Ces écrits m’ont accompagné durant mon séjour et m’ont surtout permis d’ajuster ma posture au fur et à mesure.
Je savais que le jeu facilitait l’apprentissage. Mais ce que je ne savais pas, c’est qu’il était essentiel au développement de l’enfant. Voici un bel article explicatif s’appuyant sur des études scientifiques.